Rayonnement d'école

Concept visuel & animation : rencontre avec Sébastien Piquet

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Présent à e-artsup Paris au mois de novembre 2019 pour diriger un atelier spécial auprès des étudiants de 4e année de la filière Concept Art du Programme Grande EcoleSébastien Piquet est loin d’être un inconnu dans le milieu de l’animation. Spécialiste du développement visuel, il a notamment travaillé dans plusieurs studios français et américainsDreamworks en tête, pour contribuer à de nombreux films tels que « Abominable »« Le Petit Prince »« Un monstre à Paris » ou encore « Les Trolls ». Egalement auteur de bande dessinée à ses (rares) heures perdues (il est l’auteur de « Père ou impairs » et « Père des étoiles » publiés chez Dargaud), Sébastien Piquet se prête au jeu de l’interview pour revenir sur sa présence au sein de l’école et les coulisses de son métier.

Pourquoi avoir accepté l’invitation d’e-artsup ?

Sébastien Piquet : Après une quinzaine d’années dans le milieu professionnel de l’animation, et peut-être aussi en prenant de l’âge, j’ai eu envie de transmettre ce que j’avais pu apprendre et comment j’avais pu sortir mon épingle du jeu dans le concept visuel, notamment dans le processus de création.

Qu’est-ce que le concept visuel ?

C’est avant tout la transmission d’une idée, d’une énergie, au service d’un film ou d’une envie personnelle d’un studio ou d’un réalisateur. Il s’agit finalement de prêter son imagination pour un propos particulier.

Comment s’est passé l’atelier ?

Comme je ne connaissais pas les étudiants avant de commencer, j’ai d’abord cherché à les découvrir en discutant. La première heure, je leur ai présenté mon métier et ma façon de travailler et eux ont aussi pu me parler de ce qu’ils faisaient. C’était un moment très sympathique, d’autant qu’il s’agissait de ma première expérience en matière d’enseignement et de partage de connaissance – c’est une chose de savoir travailler, mais c’est une chose totalement différente de savoir expliquer comment on le fait !

L’atelier a ensuite réellement commencé avec une première journée consacrée à l’exploration autour d’un sujet à sélectionner sur deux proposés. Les étudiants devaient alors noter et dessiner sur leur tablette toutes les idées et sensations qu’ils pouvaient avoir vis-à-vis du sujet, tout ce qu’ils voulaient pouvoir raconter, ce que cela leur évoquait, etc. L’objectif était alors de pouvoir ainsi obtenir une base de travail la plus vaste possible. L’atelier s’est poursuivi le lendemain avec la seconde étape visant à d’abord sélectionner leurs compositions les plus pertinentes pour ensuite arriver en fin de journée à une illustration la plus avancée possible pour répondre au sujet.

Quels étaient les deux sujets proposés ?

Je me suis inspiré des films sur lesquels j’ai déjà pu travailler et des environnements que j’avais pu créer par le passé. D’un côté, il y avait le bunker souterrain présent dans le film « Les Trolls ». Il s’agit du bunker du personnage nommé Branch. L’idée de départ de ce lieu était de créer un espace d’environnement de survivaliste, dans une grotte avec des cavités spécifiques : une salle d’entraînement, des réserves de nourritures, un lieu d’observation équipé de périscope pour observer la surface, etc. Le sujet ici consistait donc à imaginer une pièce de cette grotte n’existant pas dans le film et forcément différente de celles que j’ai pu leur montrer en exemple.

De l’autre côté, on s’inspirait cette fois du film « Abominable ». Pour celui-ci, j’avais travaillé sur le laboratoire du grand méchant. Pour rappel, il s’agit d’un milliardaire très vieux qui cherche par tous les moyens une méthode pour rajeunir ou rester vivant et en forme : il a recruté pour cela une sorte de savant fou qui lui fait boire des mixtures et potions réalisées à base d’extraits d’animaux et plantes rares, voire de momies venues d’Egypte. J’ai donc montré aux étudiants ce que j’avais pu faire et leur ai demandé d’imaginer ce que pourrait donner une autre pièce de ce labo.

Quel était l’objectif de cette démarche ?

Au-delà des réalisations de chacun, le but était aussi qu’ils puissent tous croiser leurs différentes recherches et inspirations pour apprendre que, dans le monde professionnel, l’important n’est pas seulement d’arriver à une illustration finale. Dans ce milieu, on a souvent affaire à un réalisateur ou un directeur artistique qui va essayer de pousser au maximum la réflexion dans différentes directions. Si l’on a soi-même étudié différentes pistes en amont, c’est un vrai avantage : cela vous permet de leur montrer ce que vous avez essayé et de leur suggérer ce qui est, à vos yeux, la meilleure solution possible. Il est plus facile de discuter si l’on pose avant certaines bases de réflexion. Dans le cas contraire, si vous arrivez directement avec une peinture finie, vous pouvez avoir pris le risque de passer trois ou quatre jours à travailler dessus sans aucune garantie d’obtenir l’aval de la personne en face. Il faut savoir anticiper et ne jamais oublier que le métier de concept visuel artist consiste à se mettre au service de l’imaginaire de quelqu’un. C’est un équilibre à trouver afin de permettre à la personne responsable de pouvoir garder la main, d’apporter d’éventuels changements et suggestions. Même si, parfois, on peut avoir une illumination et, par chance, arriver à toucher au but du premier coup, la discussion en amont reste primordiale. Il faut toujours avoir plusieurs options pour être sûr d’être sur la même longueur d’onde que son interlocuteur au final.

D’ailleurs, ces options ne représentent jamais un temps perdu car elles peuvent toujours servir comme sources d’inspiration pour de futures créations sur d’autres projets, non ?

Oui, c’est toujours utile, y compris pour d’autres facettes du film en cours de réalisation. Par exemple, même si elle n’est pas retenue, l’une de vos propositions peut toujours donner une idée au réalisateur à laquelle il n’avait pas pensée. Si vous avez imaginé un objet marrant, le réalisateur peut ensuite s‘en servir auprès des storyboarders pour faire évoluer l’histoire ou intégrer un nouveau gag. C’est cette partie assez inattendue que je préfère dans mon métier.

Comment pourrait-on vous définir ? Comme un concept artist ?

Oui, je suis un concept artist freelance et, en ce moment, je bosse pour Dreamworks. Juste avant, je travaillais pour Paramount sur le prochain film « Bob l’éponge » et prochainement, je vais sans doute travailler pour Netflix et Nickelodeon.

Comment un Français se retrouve à travailler sur de grosses productions de l’animation aux États-Unis ?

Il faut savoir qu’il y a une « grosse mafia » française qui évolue principalement dans l’animation et le visual development aux États-Unis ! En fait, le Français s’exporte plutôt pas mal là-bas ! Après, pour mettre un pied chez les Américains, c’est aussi souvent le bouche-à-oreille qui fait la différence. Dans mon cas par exemple, l’opportunité s’est présentée par un copain qui travaillait chez PDI (pour Pacific Data Images), une des branches historiques de Dreamworks. Comme les gens du studio cherchaient à recruter de nouveaux artistes, il m’a demandé s’il pouvait montrer mon portfolio. Ils en ont vu plein, mais c’est finalement moi qui ai décroché la timbale. Pour autant, cela n’a pas été super simple car, avant de partir là-bas, je ne parlais pas un mot d’anglais ! De ce fait, l’entretien a dû leur sembler hallucinant… Je ne sais pas vraiment ce qu’ils ont compris, mais ils ont dû comprendre ce qu’il fallait puisqu’ils m’ont signé un contrat qui m’a permis de débarquer quelques mois plus tard à San Francisco avant d’ensuite descendre à Los Angeles.

Aujourd’hui, vous êtes toujours à Los Angeles ?

Non, je suis revenu m’installer en France cet été. Après avoir passé cinq ans aux États-Unis, certaines raisons personnelles et administratives m’ont incité à rentrer. Là-bas, j’avais un visa au nom assez prestigieux sur le papier car nommé « Extraordinary Ability ». Il est souvent attribué aux sportifs de haut niveau et aux artistes. Cependant, ce visa a un défaut : il interdit au conjoint de la personne détentrice de travailler sur place ! Au bout d’un moment, et même si j’aurais pu faire les démarches pour tenter d’obtenir une Green Card, j’ai préféré revenir en France.

Un aperçu du travail de Sébastien Piquet sur Abominable

En tant qu’artiste, qu’est-ce qu’on apprend en travaillant dans des studios d’animation de cette importance et sur de tels projets ?

Travailler sur des grandes productions au sein de ces studios n’a jamais été un but pour moi. Pour autant, une fois sur place, on apprend beaucoup car on y côtoie des artistes fabuleux dans tous les domaines. C’est pour cela que ces films à gros budget sortant dans le monde entier possèdent une image super belle. À l’inverse, on apprend aussi que ce n’est pas parce que l’on met ensemble des gens super compétents, hyper forts et très travailleurs que le résultat final sera forcément bon. Des fois, aussi hallucinant que cela puisse paraître, ça ne prend pas. Il faut dire que, dans ces studios, il n’y a pas que l’animation qui compte : on est sur une approche bien plus globale intégrant le marketing, la nécessité de produire en parallèle une gamme de jouets et une série dérivée de l’univers pour le petit écran, etc. Travailler avec eux m’a aussi appris ce qu’était réellement l’entertainment, une approche qui ne se retrouve finalement pas tellement en France. Aux États-Unis, un film ne se fait pas avec simplement quelqu’un qui vient avec un projet : c’est un studio qui décide ce qui va être intéressant ou non, en plaçant telle personne à tel poste parce qu’on la juge apte, etc. Cela peut demander du temps avant que la mayonnaise prenne, mais par contre, quand le studio décide de sortir le film, on sait que le film sortira. En France, avant de partir, j’ai travaillé sur plein de films et seulement deux sont sortis.

En quinze ans de métier, quelles sont vos plus belles réussites professionnelles ?

Tout d’abord, il y a le premier long-métrage, « Un monstre à Paris », sur lequel j’ai travaillé à Nice, au sein du studio Bibo Films. À l’époque pourtant, je ne savais pas travailler ! Au départ, je pensais que ça allait, mais quand je suis arrivé chez Bibo Films où se trouvaient des gens super forts comme Neil RossAurélien Predal ou encore François Moret, il y a eu un déclic et j’ai compris que je devais passer un cap. Les efforts ont payé puisqu’à la fin, ma patte se voyait à l’écran. Au moment de voir mon nom apparaître pour la première fois dans un générique, j’avais le sentiment d’avoir réussi à apporter ma pierre à l’édifice et à être devenu plus qu’une petite fourmi. Un super souvenir.

Pour l’outre-Atlantique, je garde en tête mon travail sur « Trolls » même si je ne comprenais pas grand-chose à ce que l’on me racontait au début. Un jour, on m’a demandé de mettre sur croquis tout ce qui avait pu être dit et fait jusqu’à présent afin que l’on puisse avoir une idée plus juste et précise du monde des trolls. Lors d’une réunion, j’ai montré mes travaux et là, le réalisateur a dit « Ah, maintenant, je vois ce que peut être ce monde ! » J’étais très content d’avoir pu faire cette synthèse et qu’elle soit si bien accueillie. Cela m’a permis d’être plus relax, ce qui a aussi facilité mon travail par la suite.

Enfin, dernièrement, j’ai aussi eu l’occasion de travailler sur la suite du film « Les Croods » qui devrait sortir à l’hiver 2020 normalement. Cela m’a permis de découvrir une autre facette du métier puisque, jusqu’à présent, je n’avais jamais eu l’occasion de travailler en production sur le design de créatures ou de personnages. Comme souvent avant le démarrage d’un film, le studio a fait un « blitz » – cela consiste à réunir un pôle d’artistes durant deux semaines en leur demandant de faire ce qu’ils veulent pour qu’ils cultivent leur vision du projet. Lors du blitz, j’avais proposé des designs pour les créatures. En fait, dans l’univers de « Croods » qui se déroule dans la préhistoire, on part du principe que la nature a pu se tromper en donnant vie à des espèces hybrides comme, par exemple, une créature qui serait le mélange d’une girafe et d’un hippopotame. Le studio a bien aimé mes propositions et je me suis finalement retrouvé en charge du design de quasiment toutes les bestioles du film. J’ai beaucoup aimé cette nouvelle mission !

Finalement, quel nom pourrait-on donner à votre métier aujourd’hui ?

C’est difficile car, en France, quand on dit « artiste », on ne pense pas à un métier. À l’inverse, en anglais, c’est bien plus simple et clair quand on dit « visual development artist ». On sait de quoi il s’agit. Quand les professeurs d’école de mes enfants leur demandent la profession de leur père en début d’année, ils ne savent pas trop quoi répondre et je deviens souvent le dessinateur du coin ! Bon, j’aime quand même bien le terme « dessinateur » parce qu’il est assez vrai dans un sens – je dessine toute la journée –, mais « designer de décors et de personnages » pourrait être une bien meilleure définition française… même si « designer » n’est pas réellement un mot français !

Quel moment préférez-vous dans votre métier ?

J’aime particulièrement ce que l’on appelle les « movie moments ». C’est un moment qui intervient avant même la production du film. On travaille alors en noir et blanc sur une interaction entre le décor et le personnage, pour montrer au réalisateur ce qu’il peut se passer, les différentes échelles et l’impression générale que cela peut donner. C’est du pur concept visuel.

Les travaux de Sebastien Piquet sur « les Trolls »

Selon vous, quelles qualités fondamentales doit avoir un jeune qui souhaite faire son trou dans ce milieu ?

Au départ, il faut adorer dessiner et, surtout, dessiner tout le temps. C’est une passion ! Il faut toujours avoir un carnet sous la main pour dessiner tout et n’importe quoi, le moindre truc ou la moindre forme qui nous intéresse. Vous pouvez aussi prendre des photos, les stocker dans un coin et prendre ensuite du temps pour les redessiner. Il faut ensuite aimer raconter des histoires. Pas besoin de faire une bande dessinée ou un livre pour cela car, parfois, une seule image peut suffire. Evidemment, il faut aussi se montrer curieux et alimenter sans cesse cette curiosité. Cela peut passer par le fait d’aller régulièrement au musée comme de regarder souvent des films – en changeant de styles de films aussi – pour sortir de son territoire connu. C’est important pour soi : cela permet d’augmenter son univers, de s’affranchir des formes qu’on connaît, de savoir où chercher, de se nourrir de créations venues de différents pays, de différentes cultures, etc. Plus notre personnalité est remplie d’images, plus l’on est capable de les assembler et de jouer avec en y apportant notre touche personnelle.


En parlant de passion, comment celle du dessin s’est-elle manifestée chez vous ?

Oh, je ne sais pas… Ma mère me disait qu’à l’âge de deux ans et demi, en petite section, je dessinais déjà des motos et des chats qui faisaient la fierté de la famille ! C’est une chose que je ne sais pas expliquer. Pour rester sur le sujet, je trouve toujours dommage qu’un enfant s’arrête de dessiner parce que, soudainement, il ressent une sorte de trouille en se disant dit qu’il n’y a qu’une seule façon de faire. Au contraire, il faut continuer ! Seuls ceux qui ne s’arrêtent pas deviennent bons. En plus, le dessin est quelque chose de très personnel : il y a autant de façons de dessiner que de parler. À la fin, cela devient même un réflexe, comme le fait de respirer… ou de faire de la musique. C’est comme le musicien qui ne peut pas s’empêcher de trimbaler sa guitare partout avec lui. Une fois qu’on y a goûté, on ne peut plus s’en passer. D’ailleurs, c’est là l’essentiel pour moi : dessiner doit normalement pouvoir devenir un plaisir purement physique. Un peu comme la pratique du sport avec sa dose d’adrénaline. Coucher ses idées sur le papier ou sur une tablette, les assembler, imaginer les couleurs… C’est une sensation tellement agréable !


On reste dans sa bulle durant la création.

Oui. Pendant qu’on dessine, on est à l’abri, au chaud. Les ennuis, c’est avant et après, jamais pendant !