Le 27 mai dernier, le campus d’e-artsup Strasbourg a vibré au rythme d’une rencontre rare : celle de Ron Dyens, figure majeure du cinéma d’animation français et producteur du film Flow, sacré Oscar du meilleur film d’animation en 2025. Devant une centaine d’étudiants issus du programme Cinéma d’animation, il a animé une masterclass dense, généreuse et sans faux-semblants, revenant sur son parcours, ses choix artistiques, et les grands défis auxquels fait face l’industrie de l’animation aujourd’hui.
Un parcours guidé par l’audace et la curiosité
Ron Dyens n’est pas un producteur comme les autres. Fondateur de Sacrebleu Productions en 1999, il s’est d’abord illustré dans le court-métrage, un terrain d’expérimentation qu’il affectionne toujours, avant de s’imposer dans le long format. Son catalogue est impressionnant : plus de 90 courts produits, une pluie de récompenses internationales — de Cannes à Berlin en passant par Annecy —, et une capacité rare à détecter les talents émergents et à les accompagner dans des projets exigeants.
Son credo ? Croire aux idées folles. Parier sur des récits atypiques, des esthétiques singulières, des narrations qui sortent des sentiers battus. “Un producteur, c’est un équilibriste. Il faut être à la fois stratège, diplomate et rêveur”, résume-t-il. Une formule qui dit tout de la posture qu’il défend : entre rigueur économique et soutien inconditionnel à la liberté créative.

Flow : une fable sensorielle devenue phénomène mondial
C’est avec Flow, réalisé par le jeune cinéaste letton Gints Zilbalodis, que Ron Dyens a franchi un nouveau cap. Ce long-métrage d’animation, entièrement muet, met en scène un chat embarqué dans un monde submergé, dérivant à bord d’un bateau aux côtés d’autres animaux. Œuvre écologique, contemplative et profondément poétique, Flow a été conçu avec des moyens limités, mais une ambition artistique démesurée.


Produit entre la Lettonie, la France et la Belgique, avec un budget modeste et une fabrication innovante via Blender, le film a su conquérir la planète. Après un passage remarqué à Cannes dans la sélection Un Certain Regard, Flow triomphe au Festival International du Film d’Animation d’Annecy 2024, raflant quatre prix majeurs, dont ceux du Jury et du Public. Le succès ne s’arrête pas là : Oscar, César, Golden Globe, et plus de 50 millions de dollars de recettes à l’international, dont 720 000 entrées en France. “Un film béni des dieux”, confie Ron Dyens, conscient toutefois des obstacles traversés pour faire exister un projet aussi singulier.
BLENDER, LIBERTÉ TECHNIQUE AU SERVICE DE LA VISION ARTISTIQUE
Parmi les nombreux paris audacieux de Flow, l’un des plus singuliers reste le choix de son principal outil de production : Blender. Un logiciel open source, bien loin des standards de l’industrie comme Maya ou Houdini. Ce choix n’est pas anodin. Pour Gints Zilbalodis, Blender n’est pas simplement une alternative gratuite, mais un véritable allié créatif. Il l’utilise depuis ses débuts pour modéliser, animer, composer, monter et même étalonner ses films.


Ainsi, ce qui frappe dans Flow, c’est cette cohérence visuelle et sensorielle, servie par un style épuré et atmosphérique, pour une expérience quasi méditative.

Le producteur Ron Dyens a vu dans cet outil une opportunité plutôt qu’une contrainte. “Blender permet une autonomie rare. On peut aller très loin avec peu de moyens, à condition d’avoir une vision claire”, a-t-il expliqué aux étudiants. Ce choix technique s’est avéré stratégique, permettant une flexibilité maximale dans le calendrier de production, et une grande réactivité dans les phases d’expérimentation visuelle.
Au-delà de la prouesse, Flow démontre qu’un film d’animation à la diffusion internationale, primé dans les plus grands festivals, peut être entièrement réalisé avec des logiciels libres. Une véritable révolution pour toute une nouvelle génération de créateurs !

Une masterclass marquante, entre lucidité et transmission
Pendant plus d’1h30, Ron Dyens a déroulé les grandes étapes de sa carrière, entre souvenirs personnels et éclairages professionnels. Il a évoqué ses débuts, son passage par la gestion de salle de cinéma à Paris, la création de Sacrebleu Productions, mais aussi les rencontres décisives qui ont jalonné son parcours. Très à l’écoute des étudiants, il a répondu aux nombreuses questions posées : le rôle des festivals, les subtilités de la coproduction internationale, les choix de diffusion, ou encore l’équilibre à trouver entre liberté artistique et contraintes économiques.
Sans éluder les difficultés, il a levé le voile sur les réalités parfois méconnues du métier de producteur : montage financier complexe, négociations diplomatiques, accompagnement étroit des réalisateurs. Il a aussi partagé une vision exigeante mais passionnée du rôle de producteur : catalyseur d’énergie, médiateur entre art et industrie, bâtisseur d’écosystèmes.
Mais cette rencontre ne s’est pas limitée à un regard dans le rétroviseur. Ron Dyens a ouvert le débat sur les mutations profondes du secteur : la concentration des financements, la standardisation des contenus, la place croissante des plateformes, et bien sûr, la montée en puissance des intelligences artificielles génératives dans les processus créatifs. “L’IA bouleverse déjà l’animation. Il faudra inventer de nouvelles façons de produire, sans perdre notre exigence artistique”, a-t-il lancé avec conviction.

Une source d’inspiration pour les créateurs de demain
Organisé en partenariat avec Les Studios du Rhin, Surprise Studio, Les Indépendants, Seppia et Innervision, cet événement a marqué les esprits. Bien plus qu’une conférence, cette masterclass a offert aux étudiants une plongée concrète dans les enjeux du cinéma d’animation d’aujourd’hui et de demain. En partageant ses réussites comme ses doutes, Ron Dyens a su transmettre une énergie communicative, un goût du risque, et une foi profonde dans le collectif.
“C’est le genre de rencontre qui donne envie de se battre pour ses idées”, confiait une étudiante à la sortie. Car au-delà de la carrière impressionnante, c’est une posture qui a touché : celle d’un producteur qui croit dur comme fer à la puissance des récits, à la liberté formelle, et à la capacité de l’animation à réinventer le monde.
Le passage de Ron Dyens à eartsup Strasbourg restera comme un moment fort dans la vie du campus. Une rencontre rare, à la croisée de l’art et de l’industrie, de la passion et de la lucidité. Une leçon précieuse pour les étudiants, qui préparent aujourd’hui les récits animés de demain.